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ComposHer

Œuvres pour cordes de Sirmen à Poleva - Florilège

05 février 2022

Le nouvel album du duo formé par Elena Urioste et Tom Poster tire un trait, du Royaume-Uni aux Etats-Unis, et propose un panorama de petites pièces de compositeur·rice·s anglais·es ou américain·es. Parmi elles et eux, deux compositrices : Price et Beach. La charmante Elfentanz de la première est ici très soignée, avec un rubato recherché à la fin de chaque phrase, et un certain lyrisme dans la section centrale (plus chantante). Si le son des deux instruments est sublime, et leur façon de souligner les accords les plus audacieux de la compositrice habile, cette Elfentanz manque un peu d’espièglerie et demeure finalement trop sage. Le duo brille davantage dans le post-romantisme des Trois compositions de Beach, dont ils soulignent là encore les harmonies parfois très jazz tout en ménageant des contrastes impressionnants au sein de chaque miniature. Alors que les délicats piano voilés de « La Captive » évoquent une forme de méditation intérieure, la « Berceuse », entre un piano rond et chaud et un violon au son rehaussé de vibrato penche du côté de la nostalgie heureuse, et la « Mazurka » de celui de la mélancolie, évoquant une danse surannée et alanguie. Si les compositrices prolifiques et adeptes des grandes formes symphoniques que sont Beach et Price ne sont pas ici représentées à la mesure de leur abondante production, ces miniatures présentent le versant intimiste de leur œuvre avec beaucoup de goût.


Clara Leonardi

 

Un siècle de musique américaine pour piano : c’est l’étendue du panorama présenté dans « Retro Americana » par la pianiste Christina Petrowska-Quilico. Ce sont toutefois des pans choisis du répertoire, avec quelques noms plus rares comme Bill Westcott ou Henry Cowell, qu’elle nous fait entendre. C’est donc l’occasion de retrouver l’inclassable Meredith Monk, à la frontière entre minimalisme et jazz dans Paris for Piano dont l’apparente simplicité initiale est développée et déconstruite en rythmes et harmonies de plus en plus complexes, avant de revenir à son point de départ. Window in 7’s est un flot continu de ce motif de 7 notes, dont le rythme décalé mène parfaitement à la pièce suivante : St. Petersburg Waltz nous ramène dans la familiarité, mais sa main gauche quasi obsessionnelle dans les graves et sa main droite presque improvisée en font une œuvre entêtante. Au sein de cette unité stylistique claire, Monk apporte de nombreux développements rythmiques et motiviques qui offrent une direction à la pièce, longue de 6 minutes mais jamais lassante. Enfin, Railroad (Travel Song) propose une écriture plus dense et vive : l'œuvre file, et le talent de la compositrice - et de l’interprète - repose sur leur capacité à imprimer quelques motifs et émotions au sein de cette séquence. Très réussi, cet album offre une porte d’entrée vers l’oeuvre pianistique de Meredith Monk.

Marie Humbert

 

L’EnAccord String Quartet, entièrement féminin, est habitué à revaloriser les œuvres injustement oubliées, et particulièrement celles des compositrices. Pari tenu avec leur nouvel album Vision, dont le fil conducteur est le cycle Visions fugitives de Prokofiev, autour duquel se greffent notamment des œuvres de Maddalena Laura Lombardini Sirmen et d’Elizabeth Maconchy. Dans le Quatuor n°2 en Si b majeur (1769) de la première, l'influence des premiers quatuors de Haydn se fait sentir dans le mouvement d’ouverture, notamment par la place accordée au violoncelle, en particulier dans le développement. Le deuxième et dernier mouvement est un fugato brillant et léger s’inscrivant parfaitement dans le style galant alors en vogue. À travers cette interprétation pétillante de fraîcheur et de gaité, les quatre musiciennes nous montrent qu’en plus d’être probablement la première femme à avoir composé pour quatuor à cordes, Lombardini Sirmen se nourrit des dernières trouvailles de l’époque pour se forger un style personnel. Plus loin dans le programme surgit le Quatuor no 3 (1938) en un seul mouvement de Maconchy, clé de voûte de l’album. Les atmosphères se succèdent comme des tableaux et l’on passe d’un début statique et hypnotique à un scherzo démoniaque et grotesque, proche des quatuors de Bartók. La compositrice brise les codes d’écriture classique en écrivant une longue mélopée centrale ponctuée de glissades qui donnent au tout un timbre presque électronique. Cette fois-ci, la hiérarchie entre les instruments est définitivement mise à plat pour laisser place à quatre solistes. Aussi à l’aise dans le style galant du XVIIIe siècle avec Lombardini Sirmen que dans l’écriture fougueuse et ironique de Maconchy, l’EnAccord String Quartet réussi brillamment son pari de se faire côtoyer des œuvres méconnues en nous livrant des interprétations aussi vivantes qu’expressives.


Martin Barré

 

Dans cet album consacré au répertoire pour Quintette avec piano (c’est-à-dire quatuor à cordes et piano) ukrainiens, on découvre le Simurgh-Quintet de la compositrice Victoria Poleva (1962-). Le Simurgh, oiseau de la mythologie perse, donne son titre à l’œuvre et lui confère à tout le moins une dimension mystique et contemplative. D’un seul tenant, la pièce s’ouvre sur des dissonances dans l’aigu éthéré et grinçant des violons et des pizzicati répétés mais sans rythme clair. La nappe harmonique s’étoffe alors que le piano vient ajouter ses notes percussives, très légères. Ni mélodie ni structure ne se dégagent vraiment, mais cette absence permet en fait aux émotions et à l’écoute de s’affiner et de grandir progressivement alors que les cordes se rejoignent pour quelques accords au son presque choral, avant de laisser leur place aux battues légères du piano. En peu de notes, à un tempo méditatif, la compositrice crée une atmosphère infiniment mélancolique, mais lumineuse aussi ; on se délecte de la lente contemplation tout autant que des quelques élans créés par le piano, de plus en plus intenses, au milieu de la pièce. Le son du quatuor s’effiloche, se perd, les accords se déconstruisent dans une longue - peut-être trop, cette fois - descente. Enfin, les cordes s’éveillent et un solo de violon vient répondre au piano, toujours en battues et notes répétées. C’est le sommet expressif de la pièce : le piano s’envole en guirlandes de sons dissonants, les accords du quatuor inquiètent, et c’est seulement dans les dernières mesures que l’on retrouve la sérénité qui caractérisait la première moitié de l’œuvre.

Marie Humbert

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