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The Prison - Ethel Smyth

Dernière mise à jour : 19 août 2021

Août 2020

Ethel Smyth : The Prison

Experiential Orchestra and Chorus, James Blachly, Sarah Brailey, Dashon Burton

La re-découverte de la compositrice Ethel Smyth continue : après sa Mass in D Major en 2019, on peut désormais entendre au disque The Prison, une fois encore au label Chandos. C’est la dernière grande œuvre d’Ethel Smyth, composée en 1930 alors que, sa surdité s’aggravant depuis la première guerre mondiale, elle se consacrait à l’écriture (de ses mémoires, notamment). A l’image de son autrice, la pièce fascine, émerveille… et submerge. Elle récapitule et étend le langage musical de la compositrice, riche de toutes ses rencontre avec la musique de son temps (elle a 72 ans lorsqu’elle compose - et dirige ! - The Prison).

En deux parties (dont on ne sait pas si elles s’enchaînent ou non), The Prison est, par sa forme et sa structure, une étrangeté en soi : appelée par la compositrice une “symphony” pour évoquer une symphonie de sons plus que la forme orchestrale, on peut peut-être la rapprocher d’une cantate particulièrement longue et développée pour orchestre, chœur, et deux personnages : le Prisonnier (ici le baryton Dashon Burton) et son âme (la soprano Sarah Brailey). Le livret est arrangé par Smyth d’après l’œuvre du même nom de Henry Bennett Brewster, dont elle a été très proche et avec qui elle a élaboré les livrets de plusieurs de ses opéras. Il s’agit d’un dialogue métaphysique entre un prisonnier innocent à l’aube de son exécution, et de son âme : acceptation, détachement de soi, abandon de l’ego… le sujet est fort, complexe, et spirituel. On ne peut d’ailleurs que conseiller d’écouter l’œuvre avec le livret, à défaut de la suivre avec la partition chant et piano sous les yeux : ces deux éléments se trouvent en ligne [IMSLP], et permettent de s’imprégner du texte (qu’on comprend par ailleurs remarquablement bien, surtout chez Dashon Burton) mais aussi du style foisonnant d’Ethel Smyth.

Sans introduction instrumentale, l’œuvre s’ouvre sur une écriture moderne digne du 20ème siècle : un récitatif sombre dont la ligne vocale expressive laisse la première place au texte (Dashon Burton offre une interprétation très juste de ce Prisonnier tourmenté), une mélodie mélancolique tantôt donnée au violon solo (régulièrement utilisé dans la suite de la pièce), tantôt au hautbois, le tout sur des harmonies riches et changeantes proposées par une orchestration fine et pleine d’effets. L’entrée de “His Soul” permet de découvrir la voix céleste de Sarah Brailey : moelleuse, au vibrato souple et léger, tandis que l’orchestre se fait soudain plus apaisé. On retrouve plus d’harmonies majeures, et tout simplement plus d’accords consonants ; l’atmosphère est moins angoissée, mais aussi plus surnaturelle. Comme dans toute la pièce, Ethel Smyth mêle les esthétiques : romantique par endroits, bien plus moderne à d’autres, tantôt majestueuse et grandiloquente comme dans le premier chœur, tantôt céleste. La musique se fait aussi illustrative: les flûtes pépient alors que le Prisonnier évoque “the twitter of swallows”. La tonalité, grande source d’incertitude, se stabilise lors des moments de compréhension et d’acceptation.

Entre poignants chœurs à l’unisson (dans la deuxième partie, le no. 14 sur le disque, simple chant funéraire issu de l’Épitaphe de Seikilos, première composition musicale notée, datant du 1er siècle) et délicat contrepoint (le no. 6 par exemple), Ethel Smyth écrit une partition pour chœur exigeante, s’approchant des extrêmes des tessitures avec un chœur par endroits très divisé. L’Experiential Chorus participe grandement au succès de la pièce : précis, expressif, d’une grande justesse y compris dans les accords les plus exposés, on ne peut que regretter qu’il soit parfois couvert par l’Experiential Orchestra, par ailleurs très bon également. Le chef James Blachly a été un grand acteur de cette redécouverte (on conseille cet article qui l’interroge sur le sujet.).


Après un prélude instrumental à la deuxième partie (à l’origine un prélude pour chœur puis pour orgue dans un style proche de Bach), on découvre l’un des passages les plus expérimentaux de l’œuvre : la soprano énonce solennellement que le temps de la mort et de l’abandon de la conscience est venu, ne quittant pas son mi bémol pendant presque deux minutes. Les harmonies orchestrales changent, presque indifférentes au monologue de l’âme, provoquant cette fabuleuse sensation physique d’entendre intervalles et accords qui se cherchent. Alors que le prisonnier réalise son immortalité, abandonne son ego et se soumet à la mort qui l’attend, son dernier duo avec son âme (une surprenante et décalée valse lente) laisse place au finale, ses adieux au monde mêlant célébrations et deuil alors que retentit, tantôt tragique et tantôt triomphale, la trompette et la sonnerie aux morts.


I am the joy and the sorrow

I am the mirth and the pride

The love… the silence and the song I am the thought I am the soul

I am the home



Marie Humbert



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