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Soirée radiophonique avec Germaine Tailleferre - CNSMDP

Dernière mise à jour : 16 oct. 2023

12 mai 2022


Etudiants du CNSMDP


C’est dans une ambiance chaleureuse et feutrée que les élèves des classes de chant et de direction de chant nous accueillent à la médiathèque du Conservatoire, entourés d’un piano et de deux clavecins.


Encadrés par Yves Balmer, professeur d’analyse, et Erika Guiomar, professeure de direction de chant, la quinzaine d’étudiants nous a transporté.e.s en 1955 avec beaucoup d’humour et de second degré — qualité fort appréciable dans cette institution— en recréant une émission de radio, celle du 28 décembre 1955, qui vit la première de l’œuvre radiophonique de Germaine Tailleferre : Petite histoire lyrique de l’art français : du style galant au style méchant. Écrit pour solistes et orchestre de chambre, cet opéra bouffe se compose de cinq pastiches sociétaux parcourant l’Histoire de Rameau à Offenbach. Ces opéras de poche, dont le cinquième a été perdu, regorgent de légèreté satirique et de décalages humoristiques — en témoignent les interprètes qui ont dû retenir leurs éclats de rire... !


En 1955, la radio est un média très populaire, qui élargit le champ de la diffusion musicale. Jean Tardieu, alors directeur des programmes France-Musique de l’ORTF, commande à Germaine Tailleferre une œuvre radiophonique. Ce genre nouveau destiné aux auditeurs de la station, se caractérise par sa brièveté, son caractère divertissant, de petits effectifs et des bruitages. De part sa récente création et son aspect mineur, ce genre divertissant évolue en marge de la musique “sérieuse”, ce qui permet aux femmes de se l’approprier et de lui donner vie.


Germaine Tailleferre fait partie du “groupe des Six” (groupe revendiquant un néo-classicisme au tournant des années 1920, en réaction à l’impressionnisme et à Wagner) et fréquente Satie et Ravel : elle bénéficie donc d’une renommée indiscutable parmi l’élite intellectuelle parisienne, mais son père puis ses deux maris étant tous trois opposés à son métier de compositrice, elle lutte, par sa musique, pour dénoncer la dure condition des femmes. Ainsi, les deux extraits entendus ce soir dans une version réduite pour voix et clavier, “La fille d’opéra” et “Monsieur Petitpois achète un château”, dépeignent deux héroïnes qui rêvent d’indépendance, à deux siècles d’écart.


La fille d’opéra”, première pièce située au XVIIIe siècle à Paris, présente l’intrigue prosaïque d’une jeune chanteuse provinciale au cœur d’artichaut, qui cherche à régler ses dettes sur fond de tragédie lyrique et qui n’a d’autre choix que d’épouser un riche lord écossais qu’elle ne connaît pas, au dépend de ses sentiments. Les étudiants ont choisi d’entremêler le piano et les deux clavecins selon les numéros, les superposant parfois, choix tout à fait percutant pour ce premier pastiche au style galant dont l’action se déroule à l’époque baroque, époque où le clavecin était très répandu. En effet, Tailleferre mélange les esthétiques au sein même de la pièce, du contrepoint ornementé, aux passages dialogués et aux intermèdes plus impressionnistes. Elle n’hésite pas à créer de nombreux décalages parfois grinçants, en mettant en musique, par exemple, une créance de dette ressemblant à une liste de courses sur un fond sonore dramatique et pathétique. L’effet sur le public est garanti !

Monsieur Petitpois achète un château”, quatrième pastiche, sous couvert d’opérette mêlant duos d’amour et airs farouches délicieusement niais et risibles (écouter le « Cri aux lentilles » !) expose la situation d’un mariage arrangé au sein de la famille Petitpois entre Héloïse et son cousin. Mais cette union, déshonorée par l’amour naissant que Héloïse entretient avec un jeune duc en devenir, Adelestan, se voit annulée uniquement parce que ce nouveau prétendant est un parti promettant une élévation sociale inespérée pour la famille Petitpois. Les chansons (terme que nous utilisons en raison de la forme couplet-refrain et du caractère populaire) sont très rapides, rythmées et enjouées et appellent à chanter en chœur avec les élèves, comme ce refrain ironique « qu’il est bon, qu’il est bon, ah qu’il est bon d’avoir des zan-zans, d’avoir des zans, d’avoir des zan-zans, d’avoir des ancêtres ! »


Entre ces deux opéras, de courtes pièces pour piano de Germaine Tailleferre et de Claude Arrieu, aux accents tantôt post-romantiques, tantôt impressionnistes, apportent un nouvel éclairage au style néo-classique des compositrices. L’écriture fait parfois référence à un archaïsme fantasmé, comme la Pastorale en ut de Tailleferre où des mélodies lyriques s’accordent aux cadences modales, ou la Gavotte de Claude Arrieu (pièce radiophonique) dont le contrepoint se mêle aux couleurs modales. Le langage s’enrichit également d’influences plus récentes, comme l’écriture perlée et tourmentée de la Barcarolle de Claude Arrieu, qui nous évoque le Deuxième Intermezzo op. 117 de Brahms et réduit la salle au silence contemplatif, tout comme la valse extraite du ballet de Tailleferre Le marchand d’oiseaux, qui, par ses accords hispanisants et flamboyants, fait écho à la Cathédrale de Debussy, reflétant les cloches et vitraux d’un ailleurs rêvé…


Les étudiants, tour à tour chanteurs, instrumentistes, bruiteurs et comédiens, forcent l’admiration lorsqu’au moment du salut, on nous apprend que le concert s’est monté dans la journée et que tous les instrumentistes ont déchiffré les pièces en lecture à vue (d’où les quelques rires spontanés relevés au début de l’article). Les concerts-lectures de la médiathèque sont en effet conçus ainsi par Patricia Frechon, qui nous propose des œuvres du fond peu connues, tout en maintenant avec les élèves la tradition de la lecture à vue. Cette discipline affiliée au Conservatoire est l’épreuve la plus difficile et la plus redoutée, qui consiste à découvrir, exécuter et interpréter une partition de façon immédiate. Requise aux examens d’entrée et de sortie du Conservatoire, la lecture à vue est une spécificité de l’enseignement français. L’institution prestigieuse offre une programmation culturelle de haut niveau en accès libre, fait non négligeable qui devrait nous inciter davantage à pousser les portes imposantes de ce gros monument pourtant très accueillant !



Joséphine Laffaille




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