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Project W : Works by diverse women composers – Chicago Sinfonietta, Mei-Ann Chen

Dernière mise à jour : 19 août 2021

Mars 2019

Florence Price - Dances in the Canebrakes

Clarice Assad - Sin Fronteras

Jessie Montgomery - Coincident Dances

Reena Esmail - Charukeshi Bandish, #metoo

Jennifer Higdon - Dance Card Chicago Sinfonietta (Dir. Mei-Ann Chen)


Aboutissement d’un projet lancé en 2017 visant à mettre en lumière les compositrices d’hier et d’aujourd’hui de toutes origines, cet album présente les premiers enregistrements mondiaux d’œuvres commandées pour cette occasion.

Le Chicago Sinfonietta, sous la baguette de sa cheffe Mei-Ann Chen, nous présente ainsi un programme original avec des registres biens différents. Une initiative à l’image de cette formation fondée en 1987 : représenter dans la musique classique la diversité de sa ville dans toutes ses composantes.

En hommage à la seule femme du programme à n’être plus de ce monde aujourd’hui, le disque s’ouvre sur Dances in the Canebrakes, de la compositrice afro-américaine Florence Price (1857-1953). A l’origine composée pour piano, cette œuvre est divisée en trois courtes pièces caractérisées par l’utilisation de mélodies traditionnelles américaines dont la compositrice s’inspirait beaucoup. Danses fraîches et spontanées, évocations de la chaleur de midi, description ironique d’une marche de personnes en tenues élégantes : trois tableaux pleins de vie marqués par des rythmes balançants et des traits qui rapprochent l’œuvre de la musique de film ou de ballet. L’orchestration de William Grant Still conserve l’esprit original et l’orchestre révèle un son clair et des couleurs chatoyantes.

Sin fronteras (Sans frontières), débute avec des accords dissonants aux cordes, une atmosphère tendue soudainement rompue par des vents dynamiques rejoints par les percussions, les cuivres, menés par le xylophone. L’auditeur se retrouve alors au beau milieu d’une fête, ponctuée par des percussions variées. L’œuvre est construite sur des cassures fréquentes, des contrastes entre des moments de liesse et des passages inquiets, où l’on passe d’une grande masse sonore à un violon seul et des cordes lugubres. Clarice Assad, Américaine et Brésilienne, illustre ainsi ses deux nationalités. Les vents et les percussions de l’orchestre, mis en avant par la partition, fournissent un effort impressionnant au vu des contretemps et déséquilibres compliqués, mais on regrette un certain manque de construction globale. Si le mélange des sonorités et des motifs rythmiques est explosif et ingénieux, il est difficile de trouver un fil conducteur dans une œuvre où les contrastes semblent être une fin en soi, et dans laquelle on ne sait où veut mener la compositrice.

Après une ouverture à la contrebasse seule étonnante, Coincident dances est elle aussi caractérisée par de fortes cellules rythmiques et répétitives : après qu’un premier thème a voyagé des cordes aux bois, une boucle musicale commence à la clarinette, avant de passer au tuba. Un enchaînement original qui annonce de nombreux dialogues et jeux d’échos entre les différents pupitres de l’orchestre, parmi lesquels les percussions occupent de nouveau une place prépondérante. Plus linéaire et avec une construction plus évidente, la pièce de Jessie Montgomery est véritablement entraînante et riche, à l’image de la ville de New-York, espace multiculturel où la compositrice a grandi. On apprécie de nouveau la qualité des interprètes et de leur cheffe, ensemble homogène et compact aux timbres sonores et contrastés.

L’inspiration puisée des origines de chaque compositrice est un des fils conducteurs évidents de ce disque. L’américano-indienne Reena Esmail l’explique très bien dans ses deux pièces écoutées ici, Charkeshi bandish et #metoo. Le bandish, composition traditionnelle courte sur laquelle un musicien improvise, est un élément caractéristique de ces œuvres. Dans la première, dépouillée, où cordes et harpe constituent la base sur laquelle Esmail elle-même improvise vocalement une mélodie aux accents indiens caractéristiques. Un rendu captivant de la part de celle qui reconnaît ne pas être une professionnelle de ce type de chant. La deuxième œuvre, commande du Chicago Sinfonietta pour le Project W, contrairement à ce que son titre laisse envisager, était déjà en germe avant les scandales d’abus sexuels qui ont éclaté depuis. La compositrice, elle-même victime par le passé, retravaille en profondeur sa partition, à l’origine intitulée « Avaaz » (mot indien pour « voix »). Cette voix sera illustrée par le fameux « bandish », protagoniste selon les mots de Reena Esmail, incarnation de la « femme tentant de naviguer dans un monde rempli de pièges ». Suite à un accord violent commençant la pièce, le marimba interprète une boucle angoissante, soulignée par des notes tenues aux bois et cuivres, créant une sensation de crainte. Après une succession de chocs orchestraux et de montées en crescendo entretenant ce malaise, dans un quasi-silence, tandis que le bandish est de nouveau entendu, des voix de femmes entrent progressivement : celles de toutes les femmes de l’orchestre (47% de l’effectif global), chœur fantomatique tenant un accord douloureux marquant l’auditeur au plus profond de lui-même. Un moment de calme et de souffrance enfin exprimée mais sans parole, avant que cordes et vents recommencent les chocs, traits et rythmes de la première partie, symbole d’une perturbation permanente conclue par un éclat de cymbales.

L’album se conclut avec Dance Card de Jennifer Higdon, suite de cinq pièces pour orchestre à cordes. Dans cette suite, les explosions de joie, les staccato marqués et rythmes entraînants contrastent avec des moments plus calmes, tels la Breeze serenade (au langage proche de la Nuit transfigurée de Schoenberg) et Celestial blue, merveilles de douceur et de sensibilité, dans des tons plus intimes où les interprètes sont tout aussi à l’aise que dans les grandes pages précédentes.

La performance de l’orchestre et de Mei-Ann Chen, en poste depuis 2011, est à saluer et applaudir. L’ensemble garde une grande cohérence et unité tout au long de ce voyage qui souligne le talent de ces noms trop peu connus, que cette initiative conduira, pouvons-nous espérer, à être davantage programmés.


Amaury Quéreillahc




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