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Le temps retrouvé des compositrices au festival international baroque de Colmar


31 août 2021 Église Saint Matthieu, Colmar


Darija Andzakovic, basse viennoise solo

Antonio De Sarlo, violon solo

Julie Dey, soprano solo

Pablo Gigosos, traverso solo

Orchestre de chambre de Colmar

Cyril Pallaud, direction




L’Orchestre et Chœur de chambre de Colmar ouvrait ce mardi son premier festival international baroque. Sur le thème Silencium ? ou le temps retrouvé, cette première édition se veut une double célébration : célébration de la sortie du silence des musiciens après de longs mois marqués par la pandémie, et célébration surtout de la (re)découverte de partitions rares voire inédites. C’est ainsi une programmation à la fois exigeante et enthousiasmante qui est proposée au public alsacien en cette rentrée. L’équipe musicologique de l’ensemble, menée par son directeur artistique Cyril Pallaud, s’est, entre autres trouvailles, donné à cœur d’exhumer de leur bibliothèque viennoise plusieurs manuscrits jamais édités de la compositrice Marianna Martines, et de proposer une (re)création mondiale de ces pièces injustement oubliées. Plusieurs cantates et l’oratorio Hélène de la compositrice avaient déjà été donnés à entendre lors de la saison passée.


Marianna Martines est une compositrice des Lumières – contemporaine et amie d’Haydn et de Mozart – à la vie remarquable par bien des aspects. Elle naît à Vienne en 1744, dans un immeuble où vivaient, de l’étage le plus bas au plus haut (et donc, comme c’était la coutume à cette époque, de la classe sociale la plus aisée à la plus modeste) :

  • une princesse douairière de la riche famille Esterházy, dont de nombreux membres furent de grands mécènes à travers l’Europe

  • le célèbre maître de musique et compositeur Nicola Porpora (dont elle prendra plus tard des leçons de chant)

  • Pietro Metastasio (ou Métastase), immense poète et librettiste, ami du père de Marianna qui vécut avec leur famille jusqu’à la fin de sa vie

  • le jeune Joseph Haydn qui devait encore faire ses preuves pour s’établir sur la scène musicale viennoise, et auprès de qui elle prit aussi quelques leçons de clavecin.

En fait, c’est dans la société musicale d’Autriche-Hongrie si bien décrite par George Sand dans sa magnifique œuvre-fleuve Consuelo, qu’évolue Marianna. Elle en est même un membre éminent – elle est d’ailleurs plusieurs fois mentionnée dans le roman. Elle a la chance de bénéficier de la protection de Métastase, qui arrange son éducation puis plus tard lui lègue une partie de sa fortune, ce qui lui laissera la liberté ainsi qu’à sa sœur de ne jamais se marier, et lui garantira sa vie durant le confort matériel d’un lieu à soi – essentiel pour créer.


Deux cantates profanes pour soprano et orchestre de Marianna Martines étaient proposées en point d’orgue de ce premier concert. Leur écriture se rapproche beaucoup de celle de l’opéra italien, avec une dimension théâtrale évidente, et une alternance de récitatifs – où l’orchestre commente chaque intervention de la chanteuse sans empiéter sur son discours – et d’aria. Ceux-ci sont généreusement agrémentés d’ornementations et de cadences virtuoses qui permettent aussi de se représenter les grands talents de chanteuse de la compositrice, qui chantait a priori elle-même ses cantates. Si les deux œuvres se rejoignent sur le thème de l’amour, la première, Il consiglio (le conseil), met en scène une mise en garde contre l’amour trompeur d’une femme fatale. Au premier récitatif succède une aria marquée de passages plus sombres, et se conclut par une impressionnante cadence aux accents de chant d’oiseau. Un second récitatif au caractère plus dramatique vient introduire l’aria finale, légère et charmante, et non dépourvue de sensualité. La deuxième pièce, Il primo amore, brode autour du thème du premier amour. Elle s’ouvre sur un récitatif plein de vitalité pour enchaîner avec une aria tout aussi vive et aux vocalises particulièrement étourdissantes. Le récitatif suivant semble faire preuve d’un vrai sens du suspense (et l’on regrette alors particulièrement de ne pas comprendre le texte en italien !) dont la résolution est apportée dans l’aria finale, à la fois noble et plein de sentiments. L’orchestration est riche et équilibrée, et l’on apprécie particulièrement qu’elle laisse parfois toute sa place aux quelques cuivres de l’ensemble. La soprano Julie Dey, devenue en l’espace de quelques mois une des plus grandes spécialistes de Marianna Martines grâce à l’effort soutenu de l’Orchestre et Chœur de chambre de Colmar pour sa réhabilitation, ne cache pas son plaisir à chanter sa musique, et s’y épanouit pleinement. Son timbre léger, frais et très homogène, son sens du jeu et son agilité dans les vocalises font merveille dans ce répertoire. L’Orchestre de chambre de Colmar, formé d’une vingtaine de jeunes solistes prometteurs jouant sur instruments d’époque, exécute avec brio sa partie, et le chef Cyril Pallaud fait preuve de beaucoup d’engagement dans sa direction.


Enfin, on ne saurait conclure cet article sans mentionner aussi la musique qui a intelligemment introduit celle de Martines dans la première partie de ce concert Des ombres au siècle des Lumières ; la musique de trois compositeurs… de l’ombre, justement. On notera en particulier un élégant concerto pour violon et orchestre à corde du Chevalier de Saint George, considéré comme le premier compositeur de musique classique occidentale noir, dont Napoléon fit interdire la musique à l’époque où il rétablissait l’esclavage dans les Antilles après la Révolution française. Ce premier concerto fut suivi de deux autres : un pétillant concerto pour traverso de Frantisek Benda, magnifiquement interprété par Pablo Gigosos, et un concerto de Johannes Sperger pour basse viennoise, ce délicat instrument cousin de la contrebasse. Ces découvertes et redécouvertes musicales marquantes laissent présager de belles émotions à venir pour les prochains concerts de l’ensemble, qui laisseront une fois de plus la part belle à la musique de Marianna Martines et de nombreuses autres compositrices – une programmation à suivre donc !


Florence Bansept


À venir : Vendredi 3 septembre, 20h Soultzmatt (église paroissiale)

Programme Lotti, Martines, Meda, Scarlatti

Dimanche 5 septembre, 17h Voegtlinshoffen (église Saint Nicolas) Programme Bembo, Jacquet de la Guerre

Dimanche 10 octobre, 17h Mulhouse (St Fridolin) Progamme De Rossi, Pergolesi


Infos et réservation :



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