top of page
ComposHer

I Giardini médite sur Caroline Shaw au Festival Musique(s) rive gauche

Dernière mise à jour : 9 oct. 2021


© Cyril Faure

19 septembre 2021 Salle Colonne, Paris


Pauline Buet, violoncelle

David Violi, piano

Léa Hennino, alto

Thomas Gautier, violon

Eriko Minami, percussions



A l’écoute de ce dernier concert du festival Musique(s) rive gauche, entièrement consacré à la compositrice Caroline Shaw, on a l’impression d’assister à ce que serait, dans un monde idéal, une fusion rêvée entre musique “savante” et musique “populaire” : une écriture lumineuse, tout entière tournée vers la génération de sensations chez le spectateur. Chez Shaw, tout est pur verbe musical, rien ne relève de la posture. Alors si parfois, on aimerait qu’elle fouille encore davantage chaque idée musicale qu’elle exprime, cela ne diminue en rien le plaisir d’écoute...


Le concert s’ouvre en douceur avec Limestone and felt, pour alto et violoncelle. Écrite essentiellement en pizzicati, l'œuvre débute par des claquements de cordes agressifs sur un unique , dont les deux instruments s’écartent progressivement pour exploser dans des arpèges plus volubiles. Les accords sont plus doux que ne le laissait augurer l’ouverture de la pièce, simples et répétitifs, presque à la manière d’une chanson pop. Le climat nostalgique devient plus perceptible lorsque les deux musiciennes (Léa Hennino et Pauline Buet) prennent leur archet pour faire résonner les cordes graves de leur instrument.


Si Limestone and felt explorait les variations de timbres que les instrumentistes pouvaient obtenir à travers les pizzicati, la recherche est plus passionnante encore dans In manus tuas, pour violoncelle seul. Après une introduction en doubles cordes jouées par un archet extrêmement lent, qui permet d’obtenir une sorte de grésillement étrange évoquant le bruit d’une radio défectueuse, l’instrument semble s’emballer en une série de bariolages répétitifs, qui vont crescendo. Ce processus débouche sur une vaste lamentation en doubles cordes, jouées quasi sans vibrato - la justesse de la violoncelliste Pauline Buet est impressionnante. Puis le mouvement de flux et de reflux reprend, les bariolages naissant, puis augmentant jusqu’à placer le spectateur dans une sorte de transe, avant d’exploser dans une unique note chantée par la musicienne. Ce passage de l’instrument à la voix, qui semble parfaitement organique ici, est peut-être la trouvaille la plus intéressante de la pièce : on aimerait que la compositrice en joue encore davantage…


Le duo Boris Kerner, pour violoncelle et percussions (un ensemble de pots de fleurs de tailles différentes), est paradoxalement de facture plus classique. Le violoncelle déclame une basse assez simple, puis laisse entrer les percussions. Un jeu entre les deux instruments s’ensuit : leurs rythmes semblent se chercher, puis s’unissent pour construire ensemble de grandes progressions dynamiques. Mais en dehors de ces mouvements de vagues, l'œuvre ne laisse pas entrevoir de véritable structure ou de construction, si bien que l’on finit par être un peu perplexe. On préfère finalement la simplicité de Gustave Le Gray, pièce pour piano qui semble émaner directement des clichés de nuages dont le photographe du même nom était coutumier. Emergeant d’abord de notes répétées qui construisent progressivement des accords méditatifs, l’oeuvre laisse ensuite apparaître, noyées dans une abondance de pédale, des réminiscences de Glass ou de Chopin (la pièce fait explicitement référence à l’une des mazurkas du compositeur) se déploient successivement face aux oreilles intriguées de l’auditeur. La compositrice répète ses motifs jusqu’à l’obsession, les juxtaposant en formant un crescendo qui semble d’abord infini, mais explose invariablement dans un motif plus apaisant et plus méditatif. Si l’ensemble est un peu redondant - le pianiste David Violi ne varie guère le toucher ou l’usage de la pédale, comme pouvait le faire un Timo Andres dans un disque avec l’ACME en 2017 - il ne manque certainement pas de charme.


Mais ce sont assurément les deux dernières pièces du programme qui constituent le clou du concert. Le quatuor avec piano Thousandth orange est construit sur la répétition de quatre accords par le piano, interrompue par des cordes qui semblent d’abord déconnectées de leur partenaire, puis qui prennent sa place, répétant à l’envi la cellule harmonique que le piano délaisse pour élaborer d’autres motifs. Là encore, c’est la répétition, accompagnée de crescendo successifs, qui permet au spectateur d’entrer dans la transe, alors qu’émergent progressivement des bribes de mélodies plus lyriques ou au contraire des débordements dissonants. Les musiciens de l’ensemble I Giardini excellent à rendre cette musique riche de sentiments avec chaleur, mais sans sentimentalisme. Rejoints par Caroline Shaw au chant et par la percussionniste Eriko Minami, ils concluent la soirée en interprétant une version réduite de la chanson And so, initialement écrite pour voix (celle d’Anne-Sofie von Otter) et orchestre. La voix de Shaw est d’une élégance incomparable, son sens instinctif de la narration ferait presque oublier qu’il s’agit d’une chanson, et non d’un poème. On aimerait presque que les cordes jouent moins fort, pour en entendre davantage…


Mélancolique, hypnotique, lumineuse, la musique de Caroline Shaw est riche en réminiscences, mais ne ressemble à aucune autre. Il était temps qu’un festival français lui rende un hommage bien mérité.



Clara Leonardi




30 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comentarios


bottom of page