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ComposHer

Caroline Boissier-Butini et Le Moment Baroque

Dernière mise à jour : 19 août 2021

Septembre 2020

Caroline Boissier-Butini (1786-1836)

Concerto pour piano et orchestre n° 5 « Irlandais »

Concerto pour piano, flûte obligée et cordes n° 6 « Suisse »

Divertimento en trio pour clarinette, basson et piano

Adalberto Maria Riva, piano – Sarah van Cornewal, flûte – Pierre-André Taillard, clarinette – Rogério Gonçalves, basson – Ensemble Le Moment Baroque, Jonathan Nubel, direction.


Ce disque est une première pour la redécouverte de la musique de Caroline Boissier-Butini. Outre un nouvel enregistrement de son Concerto pour piano n° 6 Suisse, il propose un premier enregistrement mondial du Concerto n°5 pour piano dit « irlandais ». Le programme est complété par un Divertimento à l’effectif instrumental rare : un trio pour piano, clarinette et basson.


Le nouvel opus de l’ensemble Le Moment Baroque, placé sous la direction de Jonathan Nubel, est bien plus qu’une redécouverte musicologique et historique. Le travail de fond, essentiel pour éditer les partitions de la compositrice genevoise et donner un contexte à ses œuvres, est admirable. L’association Caroline Boissier-Butini et la musicologue Irène Minder-Jeanneret sont à la source de ce projet. La pochette du CD fourmille de renseignements utiles et est disponible sur le site du label VDE-GALLO (vdegallo.com).


Mais surtout que de bons et beaux moments musicaux passés avec la musique de Caroline Boissier-Butini ! Née à la fin du 18ème siècle en 1786, cette pianiste et compositrice suisse est une figure musicale reconnue dans sa ville de Genève au début du 19ème siècle. Son activité est cependant à la hauteur de ce que la bonne société dont elle est issue lui permettra. Ses prestations instrumentales et ses créations admirées se feront exclusivement dans le cadre privé de concerts dans les salons et les sociétés de musique. Son catalogue de compositions pour le piano, sonates, concertos, pièces de caractère en sont un merveilleux reflet.


L’enregistrement des pièces a été réalisé en live et dans les conditions qui auraient pu être celles de leurs interprétations. C’est donc avec grand soin que le lieu a été choisi, le salon de la Société de lecture de Genève. La recherche de l’instrument soliste, le piano, a elle aussi été soignée. Ce souci est en lien avec les propres recherches de Caroline Boissier-Butini. Son journal de voyage relate sa quête de l’instrument idéal. Elle essaie ainsi de nombreux pianos à Paris et commente avec beaucoup de détails les différences de sonorité, de toucher, d’homogénéité. Elle ne trouve rien à son goût mais acquiert pour son père un piano avec différentes pédales, dont une qui actionne des musiques de janissaires (« tambourins avec grelot et basson »), comme dans la célèbre Marche turque de Mozart. C’est l’écho de ces « machines » instrumentales exotiques à la mode qui se retrouve dans le final de son Concerto n°6 « irlandais ». Elle fera finalement l’acquisition d’un pianoforte « à 6 octaves » de la marque Broadwood à Londres. Le même modèle sera offert à Beethoven par la marque anglaise. Car Caroline Boissier- Butini est à la recherche d’un instrument qui puisse être le reflet de ses recherches et de sa volonté d’explorer les sonorités nouvelles du pianoforte.


Les pièces enregistrées nous plongent dans la nouvelle virtuosité du pianoforte du début du romantisme musical. Les concertos sont bien conçus pour faire briller leur interprète, démontrer ses capacités techniques et expressives. Un correspondant de la Allegemeine musicalische Zeitung de Leipzig, de passage à Genève en 1815 souligne ainsi « la facilité inouïe [de Madame Boissier] sur le pianoforte , notamment lorsqu’elle interprète un concerto de sa propre plume. » C'est cette virtuosité que l'on peut entendre en premier dans le concerto 'irlandais'. Le premier mouvement, avec son thème de marche populaire, rappelle la virtuosité élégante des concertos viennois de la fin du 18ème siècle. La compositrice s'échappe de ce classicisme dans le second et troisième mouvement. L'allegretto central nous propose d'entendre les jeux de timbre du nouveau piano, des explorations sonores pleines de poésie et de délicatesse. Le final quant à lui se veut plus grandiloquent. Le thème irlandais nous emmène dans une ronde continue. La virtuosité devient ici moderne, sollicitant l'ensemble du clavier, demandant de l'interprète une solide main gauche. La musique donne l'impression de ne jamais pouvoir s'arrêter, dans une forme de jouissance sonore faite pour emporter l'enthousiasme du public.


Mais la musique entendue n’est pas qu’une démonstration clinquante de virtuosité. Le ‘ranz des vaches’ dans le concerto ‘suisse’, une mélodie irlandaise dans le concerto du même nom, des mélodies dans le ton populaire, inventées par Caroline Boissier-Butini dans la veine de ce qui s’appellera le ‘Volkslied’ (mélodie du peuple) ou le ‘Volkston’ viennent alimenter le discours musical. Le ton populaire est finalement présent dans tout le concerto 'Suisse'. Et chaque mouvement donne l'impression d'être l'écho du suivant. La mélodie initiale du premier mouvement restera dans la mémoire de l'auditeur. Le 'ranz des vaches' qui apparaît dans le second mouvement, apparaît tout naturellement dans un univers a priori éloigné de la musique populaire. Avec des moyens instrumentaux très simples à sa disposition, la compositrice développe un grand art de l'orchestration qui font de ce mouvement central un très beau moment de poésie. Le final avec encore un thème dans le ton populaire vient clore ce concerto déjà très romantique.


Dans la musique qui se déploie dans ce disque, rien n'est placage ni exotisme de pacotille. Caroline Boissier-Butini est ici dans son temps. Sa musique se fait l’écho de la préoccupation des musiciennes et musiciens vers les musiques populaires, les chants du peuple. Le charmant Divertimento pour piano et instruments obligés, ici le basson et la clarinette, vient démontrer ce goût avec talent et brio. Ces musiques et chants sont les sons d’un paradis perdu pour certains. Pour d’autres, leur intégration dans la musique est acte politique, menant à l’émergence des identités nationales du 19ème. Ce sont toutes ces richesses musicales servies par des interprètes impliqués qui résonnent dans ce beau programme.


Jérôme Thiébaux



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